SOUVENIRS D'INDOCHINE
Récits et anecdotes de François de PITRAY
(photos de l'auteur)
L'auteur (avec une casquette jaune) sous l'aile d'un MORANE en juillet 1953, lors de l'opération "Camargue" sur la côte d'Annam à MyCham au nord de Hué.
En février 1953, nous étions douze observateurs-pilotes et pilotes à débarquer en Indochine, jeunes brevetés. À cette époque les groupes d'aviation d'observation d'artillerie (GAOA) étaient composés de pilotes et mécaniciens de l'armée de l'Air et d'observateurs officiers venant de l'artillerie. Après un petit flottement nous avons été intégrés à ces unités qui étaient sous les ordres de l'armée de l'Air. J'ai ainsi été affecté au 22e GAOA à Tan Son Nhut (Saïgon). Ce n'est que plus tard, lorsque nos effectifs augmentèrent, et surtout que nous reçûmes des mécaniciens que nous repassâmes sous les ordres de l'armée de Terre, et que des artilleurs prirent le commandement des GAOA.
1. Vol de nuit.
Nous étions à l'abri des tractations mouvementées des chefs, et l'accueil a été dans l'ensemble chaleureux. Nous partagions les missions sans aucun problème. J'ai même été détaché en renfort d'une escadrille de liaison pure armée de l'Air, à Tourane. Cette unité avait entre autres missions celle de mettre en l'air des observateurs. Quelques mois plus tard c'est devenu un GAOA. Je ne sais pas si c'était pour tester les aptitudes des pilotes de l'ALOA ou en raison d'une grande confiance toujours est-il qu'on m'a confié la mission de décoller du petit terrain de Hué, situé sous la citadelle, par nuit noire, afin de jouer sur la surprise au déclenchement d'une opération sur la bien surnommée "rue sans joie". Après mise en route, j'avais donné comme consigne au mécanicien de laisser son extincteur, de retirer les cales et d'aller se poster au bout du terrain avec une lampe de poche afin de baliser l'axe. Tout s'est bien passé, et quelque temps plus tard j'ai contemplé un lever de soleil incroyable de beauté. L'opération a été assez "mouvementée".
2. Le MORANE 500, alias CRIQUET 0.
Il faut parler du MORANE 500. À l'origine les allemands avaient construit un avion d'observation : le FIESELER-STORCH. C'était un appareil doté de performances ahurissantes pour l'époque. Il ignorait le décrochage. Une piste défoncée de 30 mètres lui suffisait au décollage comme à l'atterrissage. C'est sur un appareil de ce type que Mussolini fut extrait d'un fort où il était incarcéré. Et, en France, c'est devenu le MORANE 500. Les longerons étaient en bois. Ils n'ont pas résisté au climat de l'Indochine ni surtout aux insectes xylophages. Quelques avions ayant plié leur voilure "en portefeuille" on a mis des longerons en métal. L'autonomie était faible, les réservoirs ont été doublés. Il fallait des moyens de communication, on était lesté de 135 kilos de radio. Il y avait une VHF à quatre fréquences qui nécessitait un spécialiste pour changer les quartz et procéder à l'alignement. Un poste HF du type WS19, tel qu'en étaient équipés les chars, était utilisé pour les communications avec la base. La portée était de plusieurs centaines de kilomètres si on réussissait le réglage correct et si on utilisait la fréquence la mieux adaptée (on avait un choix à faire selon l'heure). Il fallait aussi que la longueur de l'antenne pendante soit adaptée à la longueur d'onde, pour cela nous comptions soigneusement les tours de manivelle du rouet sur lequel était enroulé le fil. L'oubli de rentrer cette antenne à l'atterrissage était sanctionné par un "arrosage". Ce n'était pas rare! Bien sûr on avait un poste 300 du même modèle que ceux que promenaient sur le dos toutes les troupes au sol, avec ses piles de rechange. Chaque poste avait ses écouteurs et son micro spécifique. Le plus souvent le pilote veillait en VHF et l'observateur était sur le 300. On imagine la simplicité de certains guidages de chasse si une coordination avec le sol était nécessaire. Il suffisait de superposer les casques, une oreille pour l'un, l'autre oreille pour l'autre. L'écoute permanente sur le 300 était la règle lors de tout déplacement. La fréquence d'appel étant unique sur tout le territoire, tout poste ou unité survolée se signalait. C'était souvent un simple bonjour ou encore une demande de retransmission de message. Mais parfois c'était un appel au secours. "GAO GAO "résonnait souvent à nos oreilles. Lorsque la liaison radio était impossible, il fallait faire preuve d'imagination. Grâce à un message lesté on précisait un code. Par exemple : monter ou descendre les couleurs, déplacer un véhicule, utiliser des panneaux, etc... On créait un langage à la demande. Évidemment, nous avions nos armes individuelles : des carabines, la trousse de secours, le coupe-coupe, un semblant de blindage sous la forme de gilets pare-balles disposés sur les sièges. Il fallait ajouter à cela la petite valise quand on partait en détachement. Il était courant étant basés à côté de Saîgon à Ton Son Nut d'être envoyé au Nord Laos ou sur les Hauts-Plateaux ou encore au Cambodge. N'oublions pas les cartes qui représentaient une véritable bibliothèque ; il fallait utiliser différentes échelles selon les besoins. Certaines régions, notamment les Hauts Plateaux comportaient de vastes zones en jaune avec la mention "inexploré". C'est justement là que se trouvaient certaines unités spéciales, notamment des maquis que nous avions pour mission de contacter par radio. On imagine aisément l'effondrement des performances résultant de cette surcharge. En plaine, certains jours, on avait du mal à atteindre 1 000 mètres. Et c'est avec cet engin qu'on effectuait des missions en zone montagneuse et il fallait savoir utiliser la moindre ascendance.
3. La difficulté du décollage.
Un jour à Ban-Me-Thuot sur les Hauts-Plateaux à une heure de l'après-midi, par vent nul, sur une piste de 800 mètres je n'ai pas pu décoller. J'ai refait une tentative dans l'autre sens qui a été la bonne. La suite du vol a été pendant un long moment une suite de doux virages pour viser les endroits où j'aurais la chance de bénéficier d'un thermique afin de prendre un peu d'altitude. À l'occasion de la transformation sur MORANE 500 des pilotes débarquant de France, je leur enseignais la méthode permettant le décollage le plus court possible. 12° de volets, soit 3/4 de tour de la manivelle de commande. Plein gaz sur frein jusqu'à stabilisation du régime (1 800 tours) lâcher des freins en laissant la commande de profondeur libre afin d'éviter que la vaste gouverne fasse aérofrein, ne lever la queue que lorsque la vitesse était suffisante, décollage vers 70. La quête des informations météo était la cause de quiproquo. Un jour ayant réussi à joindre un camarade pour connaître le temps que je risquais de rencontrer, la communication a été coupée par le régulateur qui m'a dit que cette liaison n'était pas faite pour parler de la pluie et du beau temps.
4. Souvenirs parmi tant d'autres.
Souvenir de cet avion qui rentre plus tôt que prévu à Hanoï. Il se range soigneusement au parking. L'observateur descend en montrant sa planchette à cartes toute déchiquetée. Il dit "comment voulez-vous travailler dans de telles conditions"! L'avion était tout troué. Par miracle l'équipage était indemne. Le MORANE 500 était dépourvu d'horizon artificiel et de conservateur de cap. Dans certains cas d'urgence extrême on ne disposait que du panneau réduit compas, variomètre, altimètre, bille et aiguille. Ceci permettait de faire un demi-tour sans visibilité de façon très inconfortable.
1. Vol de nuit.
Nous étions à l'abri des tractations mouvementées des chefs, et l'accueil a été dans l'ensemble chaleureux. Nous partagions les missions sans aucun problème. J'ai même été détaché en renfort d'une escadrille de liaison pure armée de l'Air, à Tourane. Cette unité avait entre autres missions celle de mettre en l'air des observateurs. Quelques mois plus tard c'est devenu un GAOA. Je ne sais pas si c'était pour tester les aptitudes des pilotes de l'ALOA ou en raison d'une grande confiance toujours est-il qu'on m'a confié la mission de décoller du petit terrain de Hué, situé sous la citadelle, par nuit noire, afin de jouer sur la surprise au déclenchement d'une opération sur la bien surnommée "rue sans joie". Après mise en route, j'avais donné comme consigne au mécanicien de laisser son extincteur, de retirer les cales et d'aller se poster au bout du terrain avec une lampe de poche afin de baliser l'axe. Tout s'est bien passé, et quelque temps plus tard j'ai contemplé un lever de soleil incroyable de beauté. L'opération a été assez "mouvementée".
2. Le MORANE 500, alias CRIQUET 0.
Il faut parler du MORANE 500. À l'origine les allemands avaient construit un avion d'observation : le FIESELER-STORCH. C'était un appareil doté de performances ahurissantes pour l'époque. Il ignorait le décrochage. Une piste défoncée de 30 mètres lui suffisait au décollage comme à l'atterrissage. C'est sur un appareil de ce type que Mussolini fut extrait d'un fort où il était incarcéré. Et, en France, c'est devenu le MORANE 500. Les longerons étaient en bois. Ils n'ont pas résisté au climat de l'Indochine ni surtout aux insectes xylophages. Quelques avions ayant plié leur voilure "en portefeuille" on a mis des longerons en métal. L'autonomie était faible, les réservoirs ont été doublés. Il fallait des moyens de communication, on était lesté de 135 kilos de radio. Il y avait une VHF à quatre fréquences qui nécessitait un spécialiste pour changer les quartz et procéder à l'alignement. Un poste HF du type WS19, tel qu'en étaient équipés les chars, était utilisé pour les communications avec la base. La portée était de plusieurs centaines de kilomètres si on réussissait le réglage correct et si on utilisait la fréquence la mieux adaptée (on avait un choix à faire selon l'heure). Il fallait aussi que la longueur de l'antenne pendante soit adaptée à la longueur d'onde, pour cela nous comptions soigneusement les tours de manivelle du rouet sur lequel était enroulé le fil. L'oubli de rentrer cette antenne à l'atterrissage était sanctionné par un "arrosage". Ce n'était pas rare! Bien sûr on avait un poste 300 du même modèle que ceux que promenaient sur le dos toutes les troupes au sol, avec ses piles de rechange. Chaque poste avait ses écouteurs et son micro spécifique. Le plus souvent le pilote veillait en VHF et l'observateur était sur le 300. On imagine la simplicité de certains guidages de chasse si une coordination avec le sol était nécessaire. Il suffisait de superposer les casques, une oreille pour l'un, l'autre oreille pour l'autre. L'écoute permanente sur le 300 était la règle lors de tout déplacement. La fréquence d'appel étant unique sur tout le territoire, tout poste ou unité survolée se signalait. C'était souvent un simple bonjour ou encore une demande de retransmission de message. Mais parfois c'était un appel au secours. "GAO GAO "résonnait souvent à nos oreilles. Lorsque la liaison radio était impossible, il fallait faire preuve d'imagination. Grâce à un message lesté on précisait un code. Par exemple : monter ou descendre les couleurs, déplacer un véhicule, utiliser des panneaux, etc... On créait un langage à la demande. Évidemment, nous avions nos armes individuelles : des carabines, la trousse de secours, le coupe-coupe, un semblant de blindage sous la forme de gilets pare-balles disposés sur les sièges. Il fallait ajouter à cela la petite valise quand on partait en détachement. Il était courant étant basés à côté de Saîgon à Ton Son Nut d'être envoyé au Nord Laos ou sur les Hauts-Plateaux ou encore au Cambodge. N'oublions pas les cartes qui représentaient une véritable bibliothèque ; il fallait utiliser différentes échelles selon les besoins. Certaines régions, notamment les Hauts Plateaux comportaient de vastes zones en jaune avec la mention "inexploré". C'est justement là que se trouvaient certaines unités spéciales, notamment des maquis que nous avions pour mission de contacter par radio. On imagine aisément l'effondrement des performances résultant de cette surcharge. En plaine, certains jours, on avait du mal à atteindre 1 000 mètres. Et c'est avec cet engin qu'on effectuait des missions en zone montagneuse et il fallait savoir utiliser la moindre ascendance.
3. La difficulté du décollage.
Un jour à Ban-Me-Thuot sur les Hauts-Plateaux à une heure de l'après-midi, par vent nul, sur une piste de 800 mètres je n'ai pas pu décoller. J'ai refait une tentative dans l'autre sens qui a été la bonne. La suite du vol a été pendant un long moment une suite de doux virages pour viser les endroits où j'aurais la chance de bénéficier d'un thermique afin de prendre un peu d'altitude. À l'occasion de la transformation sur MORANE 500 des pilotes débarquant de France, je leur enseignais la méthode permettant le décollage le plus court possible. 12° de volets, soit 3/4 de tour de la manivelle de commande. Plein gaz sur frein jusqu'à stabilisation du régime (1 800 tours) lâcher des freins en laissant la commande de profondeur libre afin d'éviter que la vaste gouverne fasse aérofrein, ne lever la queue que lorsque la vitesse était suffisante, décollage vers 70. La quête des informations météo était la cause de quiproquo. Un jour ayant réussi à joindre un camarade pour connaître le temps que je risquais de rencontrer, la communication a été coupée par le régulateur qui m'a dit que cette liaison n'était pas faite pour parler de la pluie et du beau temps.
4. Souvenirs parmi tant d'autres.
Souvenir de cet avion qui rentre plus tôt que prévu à Hanoï. Il se range soigneusement au parking. L'observateur descend en montrant sa planchette à cartes toute déchiquetée. Il dit "comment voulez-vous travailler dans de telles conditions"! L'avion était tout troué. Par miracle l'équipage était indemne. Le MORANE 500 était dépourvu d'horizon artificiel et de conservateur de cap. Dans certains cas d'urgence extrême on ne disposait que du panneau réduit compas, variomètre, altimètre, bille et aiguille. Ceci permettait de faire un demi-tour sans visibilité de façon très inconfortable.
MORANE, en juillet 1953, lors de l'opération "Camargue", à MyCham au nord de Hué.